Alfortville
Naissance de la communauté arménienne d’Alfortville

Il y a déjà plus de 80 ans… Au sortir de la Première guerre mondiale, des descendants d’un vieux peuple de l’Asie mineure atterrissent dans cette petite commune de la banlieue industrielle parisienne. Chez eux.

Rescapés, chassés, parqués dans des camps de réfugiés aux marges de l’ex-Empire ottoman, voilà qu’on leur propose du travail ! En France ! Le pays des Droits de l’homme a perdu un homme en âge de travailler sur dix. Munis d’un contrat de travail et d’un passeport d’ « apatrides », les Arméniens affluent à Marseille, puis s’orientent vers tous les bassins d’emploi. A Alfortville, deux usines recrutent la main d’œuvre arménienne : la Société du Bi-Métal puis les Papeteries de France. D’autres suivront. Le recensement quinquennal compte 10 Arméniens en 1921, 476 en 1926. Surtout des hommes au début, entre 15 et 40 ans, qui louent des caves et se contentent de salaires modestes. Rien encore qui puisse présager d’un établissement durable.

Mais dans Alfortville de l’entre-deux-guerres il y de la place pour les Arméniens. Beaucoup même. Toute la partie sud de la ville est un vaste cloaque dont les propriétaires voient l’arrivée des Arméniens comme une aubaine. A peu de frais et dans l’anarchie la plus totale, on achète les lotissements de l’Ile Saint-Pierre, sans eau, sans électricité, sans égouts, mais sur lesquels on se lance dans une frénésie de constructions, en brique ou en tôle, légales ou illégales. Dans ce « far-west » alfortvillais, les pionniers vivent dans la boue, meurent de tuberculose, de typhoïde.

« Mal-lotis », certes, mais ensemble, les Arméniens recréent leur univers, leur village, leurs traditions, leur église même dès 1930. Ils s’encadrent de nombreuses associations politiques, culturelles, religieuses, caritatives, sportives. Un enracinement propice à l’arrivée de nouveaux venus. En 1931, ils sont déjà 1800, près de 3000 à la veille de la Seconde guerre mondiale.

Peu regardante jusqu’ici, la Municipalité devenue communiste en 1929 entreprend d’importants travaux de viabilité pour désenclaver le sud de la commune. Elle offre, c’est très rare à l’époque, une indemnité pour les chômeurs étrangers licenciés pendant la crise des années 1930. Hors de l’usine à laquelle ils ne se sont jamais habitués, les Arméniens se lancent dans la petite entreprise familiale, en particulier la confection de vêtements à domicile. Mode de travail bien plus conforme à leur sociabilité traditionnelle et aussi plus rémunérateur. La communauté commence à cultiver le goût de l’ascension sociale, à mesure qu’émerge une nouvelle génération, née ou ayant grandi en France, motivée par le désir de retrouver la « dignité perdue » de leur peuple.

Après la Seconde guerre mondiale, l’Union soviétique convaincra bien plusieurs centaines d’entre eux de partir pour la République d’Arménie, mais c’est décidé, la grande majorité reste. A Alfortville, chez eux.

propos recueillis par Sévan Ananian
Auteur de Alfortville et les Arméniens, l’intégration réciproque, 1920-1947 , Ed. Val-Arno, 1999